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2 septembre 2022

Réorganisation de l'édition face à la crise du papier

Comment l'édition se réinvente0

Gare à la surchauffe. Avec une progression de leur chiffre d'affaires de 9,7 % en 2021 par rapport à 2019, selon les statistiques annuelles du Syndicat national de l'édition (SNE), les éditeurs français devraient avoir le sourire. Mais la crise du papier, qui perturbe depuis plus d'un an leurs capacités d'approvisionnement, assombrit singulièrement le tableau. Plus chère, plus rare, plus longue à arriver, la matière première est aujourd'hui l'objet de toutes les convoitises. La crise est plurifactorielle. Elle s'explique pour une large part par le net regain de la production éditoriale. En 2021, le nombre de nouveautés et de nouvelles éditions a rebondi de 12,6 %, à 68 189 titres d'après nos données Livres Hebdo/Electre Data Services. Avec les réimpressions, et notamment celles de séries entières de mangas dopées par le Pass Culture, la progression est encore plus importante en nombre d'exemplaires. D'après le SNE, 554 millions d'ouvrages ont été imprimés l'an dernier, contre 456,7 millions en 2020, soit une hausse record de + 21,3 %. Par son ampleur inattendue, la reprise des achats de livres a créé un déséquilibre entre une offre et une demande habituées à évoluer depuis quinze ans dans un écosystème décroissant. Après avoir atteint son plus haut en 2007 avec près de 50 000 tonnes, la production de papiers graphiques ne cessait depuis lors de reculer, pour tomber sous les 25 000 tonnes en 2019. En toute logique, les papetiers en avaient tiré les conséquences en réorientant une partie de leurs capacités de production vers des segments plus porteurs, comme les papiers et cartons destinés à l'emballage ou le papier pour étiquette.

La crise sanitaire de 2020, en causant le ralentissement général de l'économie et de la production, a perturbé les équilibres en place. Surtout, les acteurs n'avaient pas anticipé l'importance de la reprise de 2021 : exceptionnellement faste en librairie, la première année post-Covid a eu pour conséquence, dans le monde entier, la sursollicitation des filières de papeterie et d'imprimerie graphique. « De surcapacitaire, le marché des papiers graphiques est devenu sous-capacitaire », résume Paul-Antoine Lacour, délégué général de l'Union française des industries du papier, carton et de la cellulose (Copacel).

Le marché paie aujourd'hui les conséquences des réductions passées de capacité de production, la concentration du segment de l'imprimerie entre les mains d'un nombre restreint d'acteurs n'ayant fait qu'amplifier la crise. « Beaucoup de petits imprimeurs avec lesquels nous étions en encore relation au début des années 2010 ont aujourd'hui disparu, note Yannick Dehée, dirigeant de Nouveau Monde. En période de forte demande, les acteurs en place ne peuvent pas absorber l'impression de tous les livres. »

À ces effets de marché sont venus se combiner des facteurs économiques (essor de l'e-commerce très consommateur en carton, forte reprise de la consommation mondiale de bois), mais aussi géopolitiques : la désorganisation du transport maritime international pour cause de Covid-19 a dans un premier temps entraîné l'explosion du coût du container. La hausse du coût de l'énergie, aggravée par le déclenchement de la guerre en Ukraine et la fermeture du robinet de gaz russe, a aussi entraîné avec elle celle du prix de la pâte à papier. Asphyxiés, les imprimeurs répercutent les hausses sur leurs clients éditeurs. Ceux-ci n'ont, à leur tour, d'autre choix que de relever leurs prix, de réduire leur production ou de repenser la fabrication de leurs ouvrages. Matérielle et économique, la crise est aussi humaine : en début d'année, une dizaine d'usines du groupe papetier finlandais UPM ont cessé de tourner, paralysées par une grève historique dans le secteur. Plus structurellement, les transporteurs routiers manquent de chauffeurs et les imprimeurs d'ouvriers qualifiés. Aubin Imprimerie a par exemple produit 7,5 millions de mangas en 2021. Malgré une pénurie de main-d'œuvre, la volumétrie devrait encore augmenter cette année, mais l'entreprise peine à suivre le rythme de la demande. « Aujourd'hui les compétences manquent. Pour tourner à plein régime, nous avons besoin de recruter sept ou huit conducteurs de machine », explique Emmanuel Melki, directeur commercial.

L'enjeu pour le marché de l'édition est maintenant de retrouver son rythme de croisière. Le ralentissement du début de l'année après la période d'euphorie post-Covid est une première étape en ce sens. Selon l'observatoire du Syndicat de la librairie française, les ventes de livres en librairie indépendante ont chuté de 11,7 % au cours des six premiers mois de 2022. Mais le ralentissement, bien réel, reste à relativiser car ces résultats restent en progression de 10,9 % par rapport à la même période en 2019. Faut-il pour autant s'attendre à une reprise durable de la production de papiers graphiques ? À la Copacel, Paul-Antoine Lacour n'y croit pas : « Même si la consommation de livres est dynamique, la tendance demeure structurellement décroissante pour les papiers graphiques dans leur ensemble (presse, publicités, bureautique...). Aucun imprimeur n'est prêt à investir 300 millions d'euros dans une nouvelle machine aujourd'hui. »

Plus que l'appareil industriel, ce sont les manières de travailler que la crise est en train de changer. Les tonnages de papiers étant désormais soumis à des quotas stricts par les papetiers européens, les éditeurs diversifient le profil de leurs fournisseurs. Interrogé par Livres Hebdo, Hachette Livre indique procéder à des approvisionnements complémentaires en Amérique et en Asie. « Des délocalisations de production de livres sont aussi possibles pour soulager le marché », détaille le Groupe.

La fabrication évolue elle aussi. « Les grands groupes sont aujourd'hui dans une logique de révision des prix, mais aussi des grammages de leurs papiers. Il y a des livres qui seront fondamentalement différents demain », affirme Dominique Bordes, fondateur de Monsieur Toussaint Louverture. Last but not least, l'allongement des délais d'approvisionnement, couplé à l'inflation galopante, perturbe le travail des diffuseurs. « Il est compliqué d'anticiper la mise en place d'un livre dont l'éditeur n'a pas déterminé le prix de vente parce qu'il ignore encore, à ce moment, combien lui coûtera le papier », décrypte Charles Candellier, responsable relation éditeur chez UP Diffusion.

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