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26 décembre 2020

Estimation pour une esquisse du Lotus Bleu

Enchères esquisse converture Tintin

Elle n'était pas cachée à l'intérieur d'un fétiche arumbaya, ni scellée dans un coffre englouti au fond de la mer par le naufrage de la Licorne. Mais le projet de couverture du Lotus Bleu, cinquième aventure de Tintin, proposée aux enchères par les héritiers Casterman auprès de la maison d'enchères Artcurial, à Paris le 14 janvier prochain, pourrait bien coûter l'équivalent du trésor de Rackham le Rouge.  Elle est estimée entre 2 et 3 millions d'euros. Si les enchérisseurs atteignent la fourchette haute, le record de l'œuvre de bande dessinée la plus chère du monde sera battue. Une vente contestée par les ayants droit d'Hergé. La fameuse société Moulinsart, dirigée par le mari de sa seconde épouse, le redouté Nick Rodwell, conteste la légalité de la vente. Retour sur le parcours tumultueux de cette œuvre. 

Tout commence au début de l'année 1936. Hergé vient de quitter l'éditeur de ses débuts (Le Petit Vingtième, la structure dirigée d'une main de fer par l'abbé Wallez) pour proposer ses histoires à un éditeur professionnel, la maison Casterman. L'enjeu est de taille pour un auteur qui plafonne à l'époque : si Tintin au pays des Soviets s'est vendu à 10 000 exemplaires, les deux aventures suivantes (Tintin au Congo, Tintin en Amérique) dépassent à peine la moitié de ce chiffre. Hergé a envie d'en mettre plein la vue à son lectorat, et réalise un superbe projet de couverture pour Le Lotus Bleu, son histoire la plus aboutie et un tournant dans sa carrière – mais ça, il ne le saura qu'après. Comme c'est encore un document de travail (si le dragon est parfaitement détaillé et les ombres savamment posées sur la lampe et le vase, la tête de Tintin n'est pas tout à fait finie) il plie l'image en six, la fixe à la lettre adressée à son éditeur, fourre le tout dans une enveloppe, direction Tournai, siège des éditions Casterman. Le cachet de la poste indique la date du 12 février 1936. Ce qui se passe ensuite est plus incertain. "Il n'y a plus personne qui était là en 1936 pour en témoigner", constate Marcel Wilmet, tintinologue et ancien salarié de Moulinsart et des Studios Hergé. Dans ses archives, il déniche la trace d'une lettre de Charles Lesne, l'interlocuteur d'Hergé chez Casterman, qui lui annonce lui retourner le projet, trop complexe à imprimer pour l'époque, le 15 février 1936, trois jours plus tard, donc. "Cette lettre, on doit être cinquante à en avoir une copie", ajoute Marcel Wilmet. Les courriers entre Hergé et son éditeur sont précieusement gardés à l'abri des regards par la famille Casterman d'un côté, la société Moulinsart de l'autre. Selon la légende, Hergé aurait fait cadeau de ce dessin au petit Jean-Paul Casterman, 6 ans à l'époque, fils de son nouvel éditeur dont il voulait s'attirer les bonnes grâces. "Quand j'ai rencontré Jean-Paul Casterman à Tournai dans les années 1990, c'est ce qu'il m'a affirmé", abonde Eric Leroy, le maître d'œuvre de la vente chez Artcurial, qui "rêvait" depuis trente ans de mettre la pièce sur le marché. Une version des faits qui fait tiquer la société Moulinsart, qui penche davantage pour la thèse d'un emprunt non signalé. C'est aussi l'avis de Benoît Peeters, auteur de nombreux livres consacrés à Hergé, qui argumente : "Pour un cadeau à un enfant, il aurait fait un crayonné original, où on verrait Tintin et Milou représentés de manière plus avenante." L'expert souligne qu'Hergé dédicaçait tous ses cadeaux. Or, sur cette esquisse, nulle trace d'un "Pour Jean-Paul".  C'est en mars 1981, quand sont organisées les retrouvailles entre Hergé et Tchang, l'étudiant chinois en séjour à Bruxelles qui a inspiré le fameux personnage, que le dessin refait surface. Casterman en réalise une sérigraphie, dont une poignée d'exemplaires sont signés par Hergé. "Il était encore en pleine possession de ses moyens à l'époque, atteste Alain Baran, secrétaire de l'auteur jusqu'à sa mort, deux ans plus tard. A aucun moment il ne s'est étonné que le dessin soit chez eux. Entre lui et la maison Casterman, entre lui et les frères Casterman, il y avait une confiance absolue jusqu'à la fin de sa vie." Marcel Wilmet, alors journaliste, avait couvert l'évènement. "L'attaché de presse des éditions Casterman racontait déjà cette légende du document qui avait passé cinquante ans dans un tiroir." Pour la petite histoire, la sérigraphie signée par Hergé et Tchang se négocie désormais entre 3 000 et 4 000 euros sur le marché. "Et je crois que presque tous ceux qui en ont reçu une l'ont revendue", glisse Marcel Wilmet. En 1989, Benoît Peeters met la main sur cette esquisse de couverture pour l'exposition Hergé dessinateur qu'il co-organise. "Jean-Paul Casterman m'a confié cette esquisse, toujours pliée en six ! C'était l'une des rares pièces exposées qui n'appartenait pas à la société Moulinsart, mais on manquait de dessins mis en couleur de la main d'Hergé. Ça permettait de réveiller le regard du spectateur." Restaurée, la pièce encadrée en majesté constituait l'un des clous de l'exposition, car présentée pour la première fois au public. "A l'issue de l'exposition, Jean-Paul Casterman a beaucoup insisté pour la récupérer rapidement. On aurait dit qu'une fois qu'il l'avait vue restaurée, il y tenait comme à la prunelle de ses yeux." Ladite prunelle avait été assurée pour une somme conséquente pour l'époque, mais presque dérisoire aujourd'hui : "Quelque chose comme l'équivalent de 20 000 euros", lâche Benoît Peeters après un temps de réflexion.

Source: France Info culture

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