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8 mars 2024

Face à la dark romance, le grand malaise des éditeurs et des libraires

Depuis quelques semaines fleurissent, dans les rayons des librairies, des emballages produits et des avertissements que l’on imagine plus à leur place dans les magasins pour adultes de Pigalle que dans les enseignes culturelles grand public. A l’origine de cette soudaine poussée de précautions ? Le rajeunissement du lectorat de la dark romance, une littérature mettant en scène des histoires d’amour dans un climat de violence et de relations toxiques entre les personnages. L’irruption de collégiennes, parfois âgées de 11 ou 12 ans, venues entre copines acquérir tel ou tel livre après en avoir entendu parler sur les réseaux sociaux, a conduit les éditeurs à réfléchir sérieusement à la question. Entre volonté de mettre en garde sans donner l’impression de censurer. Entre souhait d’éviter les critiques en ces années MeToo et désir de ne pas tuer la poule aux œufs d’or.
Porté par le déploiement du Pass culture, le marché de la dark romance affiche des performances qui laissent rêveur, concentrées sur quelques titres. Chez BMR, la série Captive de Sarah Rivens a réalisé plus de 15 millions d’euros de chiffre d’affaires avec un premier tome vendu à plus de 400 000 exemplaires selon Edistat, ce qui lui a valu de figurer dans le palmarès des best-sellers de L’Express pour l’année 2023. Lakestone, de la même auteure, a rapporté un peu plus de 2,6 millions d’euros depuis janvier. Chez Hugo, la "dark" n’atteint pas les sommets de la romancière phare de la maison, Morgane Moncomble, mais le tome 1 de Borderline de Joyce Kitten paru début janvier s’était écoulé à 10 000 exemplaires en un mois et le tome 2, en librairie depuis le 28 février, bénéficie d’une mise en place équivalente. Hooked d’Emily McIntire, aux Plumes du Web, s’est vendu à plus de 25 000 exemplaires.
Sans cacher leur satisfaction, les éditeurs et les libraires ont vite comprisans obligation légale, mais tenus à une responsabilité mal définie, un brin morale.

Chacun a donc inventé son propre système. Chez Hugo, désormais, tous les titres de dark romance seront distingués par leur tranche noire, un pictogramme "public averti" sur la quatrième de couverture et une mise en garde rédigée par l’auteur en début d’ouvrage. "On a pu avoir des textes qui, par le passé, ont été mis entre de mauvaises mains, d’où ce choix, explique Arthur de Saint-Vincent, le directeur général de la maison. Néanmoins, notre devoir d’éditeur n’est pas de dire si c’est bien ou si c’est mal, mais de donner les clés aux libraires pour que les gens aient conscience de ce qu’ils achètent." Aux Plumes du Web, deux mentions sont prévues : "A partir de 16 ans" et "A partir de 18 ans" pour les textes les plus durs. "Nous sommes en librairie depuis novembre 2022, la question s’est posée très vite, avec des lectrices très exigeantes sur les trigger warning [NDLR : liste d’avertissements en page de garde]. Nous avons préféré afficher clairement les choses, avec l’âge", ajoute Caroline Sobczak, la gérante de la maison.

Mentionner l’âge n’a aucune portée légale, une mineure peut parfaitement acheter les livres en question, l’avertissement sert surtout d’alerte pour les libraires, souvent mal armés pour conseiller leurs clients, en particulier les parents. Même lorsqu’ils sont spécialisés en littérature adolescente, les libraires n’ont pas toujours envie de se plonger dans ces ouvrages, très gros, aux intrigues alambiquées et à l’écriture très inspirée de celle des réseaux sociaux. Qui sont, en outre, publiés à un rythme rapide tant les lectrices de romance sont des "dévoreuses". Résultat, certains de ces titres finissent dans le mauvais rayon. Ou, comme dans cette grande enseigne parisienne, sur la même étagère que l’américaine Danielle Steel, spécialiste du roman d’amour, pas très moderne certes, mais pas exactement à ranger dans le rayon violence ou pornographie.

Pas toujours facile, non plus, de trouver les mots pour mettre en garde des parents, trop heureux que leur fille se mette à lire, parfois en anglais parce qu’elle veut connaître les dernières aventures de son héroïne sans attendre la traduction en français. "De temps en temps, on arrive à glisser : 'Quel âge a la jeune fille à qui est destiné ce cadeau ?', mais beaucoup de gens nous demandent de quoi nous nous mêlons", reconnaît une libraire. Les jeunes lectrices venues seules ne sont pas plus réceptives : "Avec la différence d’âge, nous pouvons vite apparaître comme des censeurs. Si elles nous disent que leurs parents sont d’accord, on ne peut pas faire grand-chose sans le soutien de ces derniers", reconnaît la responsable librairie d’un grand réseau culturel. Le plus souvent, pour ne pas se fâcher avec une partie des clients, ni en heurter d’autres, les libraires rusent. En apposant des stickers bien visibles, mais qu’ils retrouvent parfois arrachés. En positionnant les livres les plus violents en face froide des tables, c’est-à-dire la moins visible en entrant dans le magasin, tout en sachant que ce jeu de chat et de la souris est un peu vain avec des jeunes filles qui savent parfaitement ce qu’elles cherchent. Chez Cultura, toutefois, pour la première fois, L’Ombre d’Adeline, publié le 7 mars, n’est pas en accès libre et n’est remis qu’à la demande. Une manière d’évaluer l’âge de l’acheteuse.

Dans les bibliothèques et/ou médiathèques, le public de ces livres est plus naturellement filtré car les cartes permettant d’emprunter au rayon adulte ne sont délivrées qu’aux plus de 14 ou de 15 ans. "Dans le cas d’une fille plus jeune, je lui dis que ce sont ses parents qui doivent emprunter l’ouvrage, précise une responsable de section jeunesse dans une médiathèque d’Occitanie. Et si l’usagère a plus de 15 ans, je lui montre où il est mais j’en profite pour lui proposer d’autres titres de littérature d’amour : Clémentine Beauvais ou Le Rouge et le Noir." La méthode ne fonctionne pas à coup sûr. L’adolescence est plus que jamais un âge où les conseils d’adulte réveillent l’envie de transgression. "Lorsque j’étais jeune, on lisait Moi, Christiane F., droguée, prostituée… ou L’Herbe bleue sans que personne ne proteste, temporise Ludivine Demol, doctorante en sciences de la communication et de l’information. En revanche, plus que l’âge, ce qui doit différencier les lectrices, c’est : est-ce qu’elles sont accompagnées, est-ce qu’elles peuvent parler de ce qui les choque ?".

Source : L’Express

 

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