Fragilisation des éditeurs indépendants face à la crise
L’édition a l’habitude des intrigues alambiquées. Le souci, c’est quand le secteur lui-même se retrouve dans une histoire qu’on pourrait lire dans un roman. Depuis plusieurs années, l’édition française et particulièrement les maisons d’éditions indépendantes – qui ne dépendent pas d’un groupe financier – sont frappées par une succession de crises et d’accalmies. En 2020, la fermeture des librairies pendant les confinements a fait baisser de seulement 2,36 % le chiffre d’affaires des éditeurs, ce qui fait dire au Syndicat des éditeurs (SNE) dans un rapport que le secteur a eu une capacité d’adaptation exceptionnelle, tout en soulignant que certaines maisons d’édition de petite taille ont souffert des impacts de la crise.
Éric Marcellin, gérant de la maison d’édition Critic, à Rennes (Ille-et-Vilaine), se rappelle à quel point ces années de pandémie ont été compliquées. « Il a fallu serrer les dents, puis réduire la voilure.»
Après la tempête, le calme. En 2021, le chiffre d’affaires du secteur a bondi de 12,4 % par rapport à 2020, les librairies et les éditeurs ont retrouvé leurs lecteurs. En ce moment, le secteur est secoué par l’inflation et surtout par l’augmentation du prix du papier.
Le directeur commercial de Cloître imprimeur, le premier imprimeur de Bretagne, explique que le prix de certains types de papier a augmenté de 50 %, d’autres ont doublé, il y a encore une augmentation prévue début septembre de 8 à 15 %.
La demande en papier dépasse la production.
Cette augmentation a fait exploser de 125 % les coûts de Yo Éditions, une structure qui a édité neuf livres depuis sa création, il y a un an et demi. Le coût de la fabrication a augmenté et a tué nos marges
, confie Yannick Vicente, le cofondateur. Si ça continue, peut-être qu’on éditera moins d’auteurs »
, poursuit-il. Comme lui, nombreux sont les éditeurs qui ont augmenté leurs prix.
Florent Massot, l’éditeur indépendant qui a découvert Virginie Despentes, est passé, lui, à côté de la catastrophe. Ces deux dernières années, je n’ai pas pu faire de succès. Le modèle fait qu’un succès finance neuf autres titres.
Sa maison d’édition a risqué le dépôt de bilan. Sa situation s’est stabilisée depuis une campagne de financement (toujours ouverte) et des discussions avec des investisseurs particuliers.
Le secteur est en partie soulagé après l’annonce de la non-fusion des deux leaders de l’édition française, Hachette et Editis. Vincent Bolloré, le patron de Vivendi, n’a pas pu créer le mastodonte qu’il souhaitait. Il doit lâcher Editis pour mettre la main sur Hachette.
Reste cette inquiétude pour Françoise Nyssen, la patronne de la maison d’édition indépendante Actes Sud, qu’Hachette passe dans un conglomérat d’entreprises [Vivendi], qui a tous les moyens de dominer la production dans l’édition. Ma crainte c’est de voir s’appauvrir la diversité. L’édition est multiple, inattendue, tout d’un coup apparaît un livre qu’on n’attendait pas et qui nous provoque une émotion
.
Source : Ouest France